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Rencontre avec Dimitri Thouzery

2021-04-27
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interview

Planet Drawing, Dimitri Thouzery

Artiste des nouveaux médias et designer d’installations immersives et interactives basé à Toulouse, Dimitri développe ses créations grâce à différents types de capteurs et au logiciel Touchdesigner, qui permet d’interconnecter différentes interfaces et générer ses œuvres. Il a déjà exposé dans le monde entier : du Canada (SATFest21) au Mexique (Visual for Light Of Hope mapping) en passant par les Pays-Bas (Dutch Design Week) et bien d’autres pays encore.

Dimitri Thouzery

Comment décrirais-tu l’art numérique ?

« Cette question est extrêmement large. L’art numérique est si divers qu’il englobe une infinité de secteurs. Je pense donc qu’il vaudrait mieux s’en tenir à une définition elle-même très large de l’art numérique, selon laquelle il s’agit tout simplement de l’art dont le médium premier est le numérique.

Visual 267 – Acheron, Dimitri Thouzery

D’un point de vue plus personnel, je considère par ailleurs qu’une des particularités de l’art numérique est la façon dont il nous permet la réappropriation de cette technologie trop souvent utilisée à des fins commerciales ou productivistes et d’en faire quelque chose de beau. Pour moi qui vient plutôt d’une formation scientifique et informatique, qui n’ait pas du tout fait d’école d’art, l’art numérique a également constitué un moyen de joindre les deux secteurs que constituent l’art et les nouvelles technologies, jusqu’à finalement m’investir pleinement dans l’art. »

Qu’est-ce qui t’a poussé à faire de l’art numérique ? Qu’est-ce qui t’anime dans l’exploration des nouveaux médias ?

« Initialement, je me rattachais bien plus à l’art contemporain qu’à l’art numérique. Je travaillais notamment dans l’espace public et m’attelais à repenser la transposition de l’art dans l’espace public (graffiti, pratiques urbaines…) vers le modèle de la galerie. Mais j’ai trouvé que cette transposition faisait perdre du sens aux œuvres. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à m’intéresser à l’art numérique et aux installations, dans la mesure où je les ai considérés plus à même de donner du sens à cette transposition. Ainsi par exemple, la première œuvre pour laquelle j’ai travaillé avec l’informatique visait à recréer diverses conditions météo en intérieur.

A l’origine, l’art numérique a donc constitué un simple médium technique pour l’artiste contemporain que j’étais. Mais en fin de compte, je me suis pris de passion pour cet art très mathématique. J’ai toujours été dans cette recherche de création sous différentes formes, mais l’art numérique m’a particulièrement plu dans la mesure où il concentrait sciences, technologie et créativité. Tout ce que j’aimais.

Ce qui me plaît beaucoup dans l’art des nouveaux médias, c’est également l’extrême liberté qu’il permet dans la création. Les nouvelles technologies permettent en effet d’explorer un spectre créatif illimité, d’autant plus si l’on considère le point auquel le médium évolue vite et offre toujours de nouvelles possibilités. C’est un art qui nous fait par ailleurs sortir de la logique d’efficacité, d’objectif et de cahier des charges très strict, pour entrer dans celle de l’expérimentation. J’aime ainsi explorer de nouvelles façons d’interagir en utilisant divers capteurs et bases de données pour créer de nouvelles expériences utilisateur. Je considère que cette nouvelle forme d’art est un moyen de se connecter à quelque chose d’universel et de remettre en question la réalité. »

Visual 186 – World is moving fast, Dimitri Thouzery

La vitesse d’évolution des nouvelles technologies en tant que médium de création, est-ce plutôt quelque chose qui te stimule ou t’effraie ?

« Les supports numériques n’ont de cesse d’évoluer et d’offrir de nouvelles possibilités. C’est quelque chose que je trouve particulièrement grisant et vertigineux à la fois. D’un côté, cette évolution permanente est en effet extrêmement stimulante dans la mesure où chaque nouveau support, chaque nouvelle technique de création implique l’apprentissage et le développement de nouvelles compétences. Mais il y a aussi une dimension particulièrement intimidante et chronophage dans la recherche permanente de l’appréhension de ses outils en tant qu’artiste.

Par ailleurs, le rapport à la technologie en tant qu’artiste est parfois effrayant parce qu’une réelle dépendance se crée entre l’artiste et ses médiums. Par exemple, la production des semi-conducteurs a largement été amputée à cause de la crise sanitaire. Cela a bloqué la fabrication de différents outils, et notamment des cartes graphiques qui sont très utilisées en art numérique. Cela pose la question de l’instabilité d’un médium et de l’avenir des artistes qui l’utilisent dans le cas où celui-ci venait à disparaître. Je trouve ça assez inquiétant, bien que je reste persuadé qu’il y aura toujours de nouvelles solutions ou de nouveaux médiums par lesquels l’art pourra éclore. »

« En général j’ai une image floue, ou une idée autour d’un concept ou de l’interactivité, donc je définis d’abord des bases techniques pour mon œuvre. Ensuite, en ce qui concerne l’aspect esthétique, je pars souvent d’une vague idée et c’est vraiment l’expérimentation qui va m’amener à un certain point, et puis après je vais travailler des détails. Par exemple, je peux arriver à un résultat intéressant mais où la lumière ne va pas me plaire donc je vais la modifier jusqu’à obtenir un résultat qui me convient. Je suis aussi parfois amené à faire de la photogrammétrie (scan 3D), mais 90% de mon workflow se déroule sur ordinateur. »

Visual 201 – Multiple spaces timeline, Dimitri Thouzery

Quel est ton parcours ? As-tu suivi une formation spécifique ?

« J’ai commencé par étudier au sein d’une faculté de sciences en mathématiques. Ensuite, j’ai choisi de faire un BTS en informatique, et puis je me suis finalement réorienté vers le graphisme, le développement web et l’art pictural. Enfin, depuis environ cinq ans, je me suis pleinement investi dans la création à l’aide des nouvelles technologies.

Je me suis formé en autodidacte aux différents médiums des arts numériques. Il n’y a d’ailleurs en France à ma connaissance aucun parcours classique qui forme aux différents logiciels que j’utilise pour le moment. Aujourd’hui je suis artiste à temps plein. Une partie de mon travail se fait en indépendant et une autre partie s’inscrit dans le cadre de projets collectifs. Je vais par exemple travailler pour des projets musicaux, des concerts, des expositions, du branding ou encore des clips par exemple, et ce souvent en collaboration avec d’autres artistes nouveaux médias, des plasticiens… »

Quelle est ta source d’inspiration ?

« Mes sources d’inspirations sont plutôt variées. J’aime m’inspirer d’autres artistes des nouveaux médias bien sûr, mais aussi de la musique, des sciences, de l’espace… Plus précisément, je suis passionné de techno expérimentale et les essais dystopiques de science fiction. J’essaie de m’intéresser un maximum à tous ces thèmes puis me laisse aller à mon imagination.

Ce qui m’inspire aussi, c’est le contact avec les autres. Si la crise sanitaire nous a poussé à repenser les modèles d’exposition, il ne faut pas oublier en effet qu’à l’origine, j’expose dans des lieux physiques dans le cadre d’expositions interactives et lors de performances de VJing. Ce genre d’expositions me permettent en temps normal d’être directement au contact du public, et cela me manque beaucoup de pouvoir partager mes œuvres autrement que par écrans interposés, de voir les réactions sur les visages, de parler aux spectateurs, de les voir sortir de leur timidité pour aller danser devant une œuvre, sortir de leur schéma classique d’action… »

Des projets que tu aimerais mettre en avant ?

« La première œuvre dont j’aimerais parler s’intitule A Fiber Move. Dans cette œuvre qui est totalement générative, c’est à dire créée seulement à partir d’équations mathématiques, j’ai tenté de dresser un pont entre le digital et l’organique. Mon objectif était de reproduire des mouvements d’ondulations naturels sur des filaments qui peuvent rappeler des fibres synthétiques. Ce qui me plait dans ce type d’œuvres, c’est le flou qu’elles peuvent créer. Elles permettent d’avoir à la fois une image qui est numérique et pour autant animée par des mouvements organiques. Le digital prend vie, et la frontière avec le réel dans notre perception s’amenuise.

A Fiber Move, Dimitri Thouzery

Une autre œuvre que je voudrais présenter est An attempt to. Ici, j’ai utilisé la technique de la photogrammétrie pour « capturer » en nuages de points une place de village, et je m’en sert comme base de modélisation pour essayer d’amener le spectateur vers quelque chose de plus grand, de connecter notre regard à la fois à l’infiniment grand et l’infiniment petit. »

An Attempt To, Dimitri Thouzery